Echec des sciences sociales et globalisation
Par Joëlle DENIOT, professeur de Sociologie à l'Université de Nantes, 2005.
"La mutation mondialiste n’est-elle pas aussi ce passage critique - et ce délire de passage tout à la fois- vers une chosification des énergies, des cultures, des mises en lien des hommes ? N’est-ce pas là l’horizon d’un monde enfin ramené à une physique, une mécanique sociales, objet parfait dont le sociologue rêve dès l’origine pour rejoindre l’empyrée des sciences exactes - et ce même si l’ethos sociologique semble désormais bien plus attiré par la prescription que la description, par la discipline éducative des esprits que par la recherche théorique subtile. N’est-ce pas là l’aubaine d’un monde prêt- à -penser, toujours déjà pensé ? En ce sens, le schème mondialiste contient l’utopie positiviste de la sociologie. Il lui tend son miroir.
Dans ce renvoi circulaire des représentations, sociologie et mondialisation produisent du monde indifférencié ; l’une et l’autre mues par le désir d’avènement d’une conformité en l’espèce d’hommes gérables, dépaysés, sans mythe ni propension métaphysique, sans passé ni mélancolie. Sociologie et mondialisation produisent du monde indifférencié, dédifférencié, par ce désir convergent d’une humanité ramenée à l’identique. D’une part et selon le souhait libéral : l’identique d’une espèce humaine, trop humaine conduite par les lois et penchants de la nature ; d’autre part et selon le souhait de la sociologie disciplinaire : l’identique d’une humanité maîtrisée par les voies d’une socialisation unilatérale.
Ainsi pourrions-nous pointer l’un de ces premiers nœuds de la crise : sans doute le retournement de l’observatoire panoptique contre soi-même. En effet si l’outil et la posture panoptiques - grâce divine qui vous conduirait, tel Argus, à percevoir le point de vue du point de vue, à découvrir et pouvoir penser tous les profils des corps, toutes les facettes des actes à la fois - s’exercent à merveille sur les comportements, opinions, pratiques, usages et mœurs de l’autre, il s’exerce d’abord dans la prison du champ où tous veillent à la surveillance de tous, le meilleur chien de garde étant encore soi- même, sa propre soumission, son inhibition, sa peur.
Sans doute pouvons nous en pointer un second, si la mondialisation projette un univers ou un chaos dont la sociologie anticipe dans son discours l’effet de réalité, nous voilà assis dans le train fantôme de la pure tautologie. Ce n’est pas un bon endroit pour apercevoir le paysage. Tautologie de l’univers et de la pensée est aussi dé-réalisme qui lui-même nourrit l’esprit dogmatique.
Sociologues de scène et Politiques fondamentalement s’entendent sur la même illusion d’un regain de pouvoir sur des programmes de société captive dont on organiserait les mouvements et planifierait l’avenir."
"La mutation mondialiste n’est-elle pas aussi ce passage critique - et ce délire de passage tout à la fois- vers une chosification des énergies, des cultures, des mises en lien des hommes ? N’est-ce pas là l’horizon d’un monde enfin ramené à une physique, une mécanique sociales, objet parfait dont le sociologue rêve dès l’origine pour rejoindre l’empyrée des sciences exactes - et ce même si l’ethos sociologique semble désormais bien plus attiré par la prescription que la description, par la discipline éducative des esprits que par la recherche théorique subtile. N’est-ce pas là l’aubaine d’un monde prêt- à -penser, toujours déjà pensé ? En ce sens, le schème mondialiste contient l’utopie positiviste de la sociologie. Il lui tend son miroir.
Dans ce renvoi circulaire des représentations, sociologie et mondialisation produisent du monde indifférencié ; l’une et l’autre mues par le désir d’avènement d’une conformité en l’espèce d’hommes gérables, dépaysés, sans mythe ni propension métaphysique, sans passé ni mélancolie. Sociologie et mondialisation produisent du monde indifférencié, dédifférencié, par ce désir convergent d’une humanité ramenée à l’identique. D’une part et selon le souhait libéral : l’identique d’une espèce humaine, trop humaine conduite par les lois et penchants de la nature ; d’autre part et selon le souhait de la sociologie disciplinaire : l’identique d’une humanité maîtrisée par les voies d’une socialisation unilatérale.
Ainsi pourrions-nous pointer l’un de ces premiers nœuds de la crise : sans doute le retournement de l’observatoire panoptique contre soi-même. En effet si l’outil et la posture panoptiques - grâce divine qui vous conduirait, tel Argus, à percevoir le point de vue du point de vue, à découvrir et pouvoir penser tous les profils des corps, toutes les facettes des actes à la fois - s’exercent à merveille sur les comportements, opinions, pratiques, usages et mœurs de l’autre, il s’exerce d’abord dans la prison du champ où tous veillent à la surveillance de tous, le meilleur chien de garde étant encore soi- même, sa propre soumission, son inhibition, sa peur.
Sans doute pouvons nous en pointer un second, si la mondialisation projette un univers ou un chaos dont la sociologie anticipe dans son discours l’effet de réalité, nous voilà assis dans le train fantôme de la pure tautologie. Ce n’est pas un bon endroit pour apercevoir le paysage. Tautologie de l’univers et de la pensée est aussi dé-réalisme qui lui-même nourrit l’esprit dogmatique.
Sociologues de scène et Politiques fondamentalement s’entendent sur la même illusion d’un regain de pouvoir sur des programmes de société captive dont on organiserait les mouvements et planifierait l’avenir."
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