29 octobre 2008

Jerusalem et la découverte de l'Amérique

Bèunting, Heinrich, published in ''Itinerarium Sacrae Scriptura ...'', Magdeburg, 1581.

Au détour d'une phrase de La conquête de l'Amérique. L'invention de l'autre, l'historien et sémiologue Todorov rappelle que le centre du monde pour les conquistadores n'était pas l'Espagne ou Rome, comme on le croirait spontanément, mais bien Jerusalem, en Palestine, sous domination ottomane.

L'Europe avait déjà tenté à sept reprises entre 1100 et 1300 de prendre la ville sainte, sans succès. A la même époque en Andalousie, mais aussi en Italie et en France, des savants s'étaient penchés sur les moeurs et les croyances de leurs voisins, et s'étaient efforcé de les comprendre pour ensuite mieux les réfuter .

Tout ça pour dire que contrairement à l'idée reçue, les premiers colons débarqués en Amérique ne découvraient pas l'"Autre" pour la première fois. Bien au contraire la pensée européenne était armée et entraînée, matériellement et dialectiquement, pour dominer au nom du Christianisme les nations du monde. Elle s'était fait les dents sur les Musulmans.

Ce qu'il s'est probablement passé, c'est que les envahisseurs débarqués en Amérique n'en sont pas revenu de la facilité avec laquelle ils se sont imposés aux peuples indigènes. Ils ont alors déroulé le shéma qu'ils connaissaient par coeur - au nom de Dieu, et par les armes - contrôle du territoire, conversion des élites, exploitation des ressources, leur cruauté d'autant plus exacerbée qu'elle ne rencontrait que peu de résistance.

Une comparaison approfondie de ces deux représentation serait intéressante. Il en ressortirait peut-être que dans l'esprit des conquérants les Musulmans sont plus dangereux, et donc supérieurement évolués, que les Indiens.

Dans sa conférence La rencontre des deux Mondes: La découverte de l'Amérique, l'historien Thomas Gomez raconte qu'"A titre de dédommagement (pour les efforts de l'évangélisation, le pape) Alexandre VI promulgua en 1501 la bulle "Eximiae Devotionis", qui autorisait les monarques espagnols à percevoir en lieu et place de l'église les dîmes prélevées sur les habitants. En matière de gouvernement ecclésiastique, le souverain appliquait aux territoires américains les privilèges qu'ils avaient reçus de la papauté pour l'organisation de l'Eglise dans le royaume de Grenade lorsque celui-ci fut repris aux Musulmans."

Emanuele Gennaro dans son livre Colombo e la filosofia (Genova 1989) propose une interprétation intéressante. Dans un chapitre intitulé Il paradosso degli Turchi (Le paradoxe des Turcs), il soutient que le blocage du commerce en méditerranée par l'empire ottoman a déterminé la recherche de nouvelles voies commerciales vers les Indes, et a poussé la couronne portugaise a financer le contournement de l'Afrique, et les Espagnols a faire confiance à Collomb, qui prétendait, selon l'expression consacrée, "buscar el Levante por el Poniente", rejoindre l'orient par l'occident. C'est donc la main-mise ottomane sur le commerce en Méditerranée, qui menaçait d'asfixie le développement économique de l'Europe, qui aurait été la cause principale des grandes explorations de la fin du XVe siècle, et donc indirectement été la cause de la découverte des Amériques.