30 octobre 2008

Fils rouges


Pour être tout à fait clair.

Un érudit et des hommes en cage


Je continue ma remontée aux sources de la pensée ethnographique.

Selon certains travaux, ce sont les humanistes italiens de la Renaissance qui en étudiant l'antiquité ont forgé les outils conceptuels et les méthodes critiques utilisées ensuite pour penser la diversité des cultures.

L'une de ces inventions était la linguistique.

Pietro Martire d'Anghiera (1457-1526) est un érudit italien employé à la cour des rois d'Espagne. Linguiste, justement, il rédige le premier dictionnaire Latin-Espagnol et la première grammaire espagnole jamais publiée - belle coincidence - en 1492.

Pietro Martire se passionne dès le début pour la découverte de l'Amérique, dont il devient le premier spécialiste - sans jamais faire le voyage - collectant les informations, interrogeant les conquistadors de retour et observant les indiens ramenés par Colomb de son premier voyage.

C'est comme ça que voit le jour le premier vocabulaire de langue indigène, publié en 1511 dans son livre sur le nouveau monde: par la rencontre à la cour des rois d'Espagne d'un linguiste italien avec des indiens des Caraïbes ramenés de force par Colomb.

On notera deux caractéristiques importantes de cette "rencontre": il n'est jamais allé lui-même dans le nouveau monde; il étudie des sujets qui sont en captivité.

Ses œuvres complètes en huit volumes sur le nouveau monde sont publiées entre 1511 et 1530 sous le titre latin de De orbe novo decades octo. Grâce à la BnF, une version en italien de cet ouvrage existe sur internet . L'image de ce post est tirée d'une de ses pages. On peut y lire:

"Delli arbori, piante e herbe che sono nelle dette Indie si isole come terra ferma".

Cela correspond exactement à la définition de la taxinomie: « théorie des classifications appliquée au règne végétal (De Candolle 1813)".

Ce sont les origines d'un schéma de pensée complexe qui, s'il nous renseigne sur les caractéristiques des hommes, des animaux et des plantes, en élaborant des catégories classificatoires, garde selon moi aujourd'hui encore ce rapport originel entre un érudit de cour et des hommes dans une cage.

29 octobre 2008

Jerusalem et la découverte de l'Amérique

Bèunting, Heinrich, published in ''Itinerarium Sacrae Scriptura ...'', Magdeburg, 1581.

Au détour d'une phrase de La conquête de l'Amérique. L'invention de l'autre, l'historien et sémiologue Todorov rappelle que le centre du monde pour les conquistadores n'était pas l'Espagne ou Rome, comme on le croirait spontanément, mais bien Jerusalem, en Palestine, sous domination ottomane.

L'Europe avait déjà tenté à sept reprises entre 1100 et 1300 de prendre la ville sainte, sans succès. A la même époque en Andalousie, mais aussi en Italie et en France, des savants s'étaient penchés sur les moeurs et les croyances de leurs voisins, et s'étaient efforcé de les comprendre pour ensuite mieux les réfuter .

Tout ça pour dire que contrairement à l'idée reçue, les premiers colons débarqués en Amérique ne découvraient pas l'"Autre" pour la première fois. Bien au contraire la pensée européenne était armée et entraînée, matériellement et dialectiquement, pour dominer au nom du Christianisme les nations du monde. Elle s'était fait les dents sur les Musulmans.

Ce qu'il s'est probablement passé, c'est que les envahisseurs débarqués en Amérique n'en sont pas revenu de la facilité avec laquelle ils se sont imposés aux peuples indigènes. Ils ont alors déroulé le shéma qu'ils connaissaient par coeur - au nom de Dieu, et par les armes - contrôle du territoire, conversion des élites, exploitation des ressources, leur cruauté d'autant plus exacerbée qu'elle ne rencontrait que peu de résistance.

Une comparaison approfondie de ces deux représentation serait intéressante. Il en ressortirait peut-être que dans l'esprit des conquérants les Musulmans sont plus dangereux, et donc supérieurement évolués, que les Indiens.

Dans sa conférence La rencontre des deux Mondes: La découverte de l'Amérique, l'historien Thomas Gomez raconte qu'"A titre de dédommagement (pour les efforts de l'évangélisation, le pape) Alexandre VI promulgua en 1501 la bulle "Eximiae Devotionis", qui autorisait les monarques espagnols à percevoir en lieu et place de l'église les dîmes prélevées sur les habitants. En matière de gouvernement ecclésiastique, le souverain appliquait aux territoires américains les privilèges qu'ils avaient reçus de la papauté pour l'organisation de l'Eglise dans le royaume de Grenade lorsque celui-ci fut repris aux Musulmans."

Emanuele Gennaro dans son livre Colombo e la filosofia (Genova 1989) propose une interprétation intéressante. Dans un chapitre intitulé Il paradosso degli Turchi (Le paradoxe des Turcs), il soutient que le blocage du commerce en méditerranée par l'empire ottoman a déterminé la recherche de nouvelles voies commerciales vers les Indes, et a poussé la couronne portugaise a financer le contournement de l'Afrique, et les Espagnols a faire confiance à Collomb, qui prétendait, selon l'expression consacrée, "buscar el Levante por el Poniente", rejoindre l'orient par l'occident. C'est donc la main-mise ottomane sur le commerce en Méditerranée, qui menaçait d'asfixie le développement économique de l'Europe, qui aurait été la cause principale des grandes explorations de la fin du XVe siècle, et donc indirectement été la cause de la découverte des Amériques.

28 octobre 2008

Fil rouge

H. - On suit le fil rouge ?
Q. - Pas du tout.
H. - On ne comprend pas ce qui relie les idées ?
Q. - Non.
H. - Mais tu essayes de comprendre ?
Q. - Bien sûr !
H. - Tu l'as lu ?
Q. - Ben oui.. enfin.. pas tout.
H. - Mais comment tu peux comprendre si tu ne lis pas ?!
Q. - De toute façon ce n'était pas clair.
H. - C'est toi qui n'est pas clair.
Q. - Tu sais moi.. C'est surtout pour te faire plaisir.. Moi..
H. - (finit la phrase) ..j'en ai rien à foutre ?
Q. - Pas rien.. Mais pas grand chose.
H. - Alors il ne fallait pas lire du tout !
Q. - Et comment j'aurais su ?
H. - Su quoi ?
Q. - Que ça ne m'intéressait... non rien.

22 octobre 2008

Maldicion de Malinche



Malineli Tenepatl, dite La Malinche est une femme aztèque offerte comme esclave à Hernan Cortès le 15 mars 1519 lors de sa première expédition au Mexique. Issue d'une grande famille Aztèque et donnée volontairement en esclavage encore enfant suite à une guerre perdue contre les Mayas, elle vit plusieurs années captive chez ces derniers et apprend leur langue. Peu après l'arrivée des Espagnols, elle est offerte avec 19 autres jeunes filles en présent à Cortès. La légende dit que celui-ci en tomba immédiatement amoureux. Il en fit en tout cas son interprète de confiance. La Malinche restera fidèle à ses côtés pendant toute la conquête du Mexique. Et bientôt c'est elle qui négociera au nom des conquistadores, comme en témoignent des gravures de l'époque. C'est elle la première qui expliquera à Cortés les moeurs et les croyances des Indiens qui aura vite fait de les utiliser pour les besoins de sa conquête. Elle aura finalement raison des peuples qui dans son enfance s'étaient joués de sa vie.

La Maliche est une figure mythique en Amérique du Sud, à la fois traîtresse de son peuple et mère des nations modernes.

15 octobre 2008

Foucault vs Chomsky



Michel Foucault et Noam Chomsky encore jeunes, mais déjà très intelligents, s'accordent sur le rôle des intellectuels: créer d'une part la vision d'une société plus juste pour l'avenir; comprendre de l'autre la nature de l'oppression dans notre propre société.

Ma première video sur ce blog ! Bam Bam !

Hors sujet mais en situation


Artwork from 0100101110101101.org.

Je sors du bureau avec la nausée. Pas une nausée existentielle, une nausée bien physique. Mon corps réclame de l'air et du mouvement, et mes yeux du repos. Encore une journée à la merci d'une - de plusieurs - de milliards de machines interconnectées qui dictent les cours de mes journées: assis sur une chaise à roulette, le nez pointé sur un gigantesque écran lumineux, la main droite posée sur un objet de plastique arrondi. Pour se donner une illusion de mouvement, les pieds poussent légèrement le sol entre les rayons, imprimant à la chaise à roulette un mouvement rotatif. Les heures passent ainsi, en pivotant sur moi-même en position assise, ma main droite déplaçant par infimes secousses l'objet de plastique arrondi. A force de pivoter je m'enfonce, et mon dos finit par dessiner un grand arc de cercle entre le dossier et le plateau de la chaise. Lorsque je veux atteindre l'objet rectangulaire garni de touches en plastiques posé sous l'écran lumineux, avec lequel j'interagis en imprimant des séries de pressions du bout des doigts, alors je lance mes deux bras en avant pour l'atteindre. Mais comme mes épaules ont glissé jusqu'à la hauteur de la table, ce brusque mouvement fait basculer mes fesses du bord extrême du plateau sur lequel elle s'appuyaient, celle-ci glisse en arrière, et je me retrouve allongé par terre sur la moquette grise de mon bureau. Je réalise alors que devant moi s'ouvre un espace compris entre les deux rangées de tiroirs qui soutiennent le plateau de ma table, qui forme une sorte de refuge. Je m'y enfile alors à quatre pattes, et entreprend de me cacher jusqu'à ce qu'il fasse nuit.

Je ne délire pas, je développe ma conscience de classe. Celle du cognitariat.

13 octobre 2008

L'homme qui traduisait les obélisques : Athanasius Kircher (1601 - 1680)



En remontant aux origines de la pensée ethnographique, on rencontre Athanasius Kircher.
Cet homme est un érudit jésuite, né en Allemagne en 1601, qui fit carrière académique au collège romain à partir de 1635 et jusqu'à la fin de sa vie.

A Rome, en contemplant les obélisques égyptiens, il se mit à étudier les hiéroglyphes, puis le copte, et même le chinois, sujets sur lesquels il a écrit des ouvrages conservés jusqu'à nous. En 1650 la bibliothèque vaticane était si riche qu'on pouvait déjà faire le tour du monde depuis sa chaise.

"Il créa au Collège Romain un musée des sciences et de l’ethnographie (Musée Kircherien), le premier du genre, qui malheureusement disparut lorsque la Compagnie de Jésus fut supprimée (en 1773)."1

Aujourd'hui les universités de Luzern et de Heidelberg ont numérisé ses ouvrages qui sont librement accessible sur ce site.

ça fait un lien intéressant entre les obélisques égyptiens de Rome, les missionnaires jésuites, les origines de l'ethnographie, l'Italie, l'Allemagne et la Suisse.

04 octobre 2008

Orientalisme


L'odalisque et l'esclave, Jean Auguste Dominique Ingres.

Plusieurs auteurs dans le courant des post-colonial studies ont identifié dans les méthodes de classification, de recensement, d'arpentage les structures mêmes du processus de domination culturelle de la colonisation.

La thèse d’Edward Said sur l’Orientalisme a ouvert un vaste champ de recherche sur les conséquences de l’interprétation de l’Orient par l’Occident. Les méthodes d’investigations systématiques - et militaires (internet/arpanet nait comme un projet de défense US, rappelons-le) - ont déterminé les stratégie d’intégration du patrimoine culturel « indigène » par les colonisateurs et assis sa légitimité de domination.

Dans le Supplément au voyage de bougainville de Diderot, qui traite des moeurs indigènes ou "sauvages" de Tahiti, on note bien comment le rapport aux femmes constitue un des noeuds de la construction de l'autre. Il met en scène un dialogue entre un indigène et un aumônier. L'indigène ,après le repas, "reparut, lui présenta sa femme et ses trois filles nues, et lui dit:"Voilà ma femme, voilà mes filles choisis celle qui te convient."

Quand on sait que Diderot écrivait des récits libertins, on comprend que cette représentation est déterminée par les propres fantasmes de l'auteur et par sa volonté de ridiculiser le prêtre, qui selon l'histoire finit par coucher avec les trois fille et la femme, et s'en trouve bien content.

Bon. Taxinomie, orientalisme et pornographie se rejoignent.

Pornographie



TLF: 1769 «celui qui écrit sur la prostitution» (RESTIF DE LA BRETONNE, Le Pornographe)

Selon wikipedia, c'est à l'époque de la Réforme et de la Contre-Réforme que l'on situe la distinction occidentale entre ce qui serait « érotique » (le nu artistique, par exemple) et ce qui serait « pornographique », c’est-à-dire illicite et condamné à la clandestinité (même si ce ne sont pas les termes employés à l’époque classique). La contrainte exercée sur les mœurs fait donc à ce moment de la pornographie un exercice de liberté et de subversion.

C’est le cas notamment en France avec l’apparition d’une littérature libertine au XVIIIe siècle avec des auteurs aussi différents que Diderot (Les Bijoux indiscrets, 1748), Crébillon fils (Le sopha, Les Égarements du cœur et de l’esprit), Fougeret de Monbron (Margot la ravaudeuse), et bien d’autres auteurs aujourd’hui oubliés. Les œuvres du Marquis de Sade constituent l’aboutissement extrême et singulier de cette littérature.

Exercice de liberté née au siècle des Lumières, la pornographie est donc reliée à l'encyclopédie par son auteur, Diderot. En outre la littérature libertine explose littéralement au XVIIIe, et joue un rôle fondamental dans la circulation de nouvelles idées et la transformation des moeurs. Voir notemment La philosophie dans le boudoir du marquis de Sade.

Aujourd'hui la place de la pornographie sur l'internet est un véritable sujet tabou, dont on commence à peine à mesurer les implications. Voir Mark Dery, Paradise Lust: pornotopia meets the culture wars.

Comme dit mon ami Oscar, on fait des éjaculateurs précoces intellectuels.

Taxinomie


Selon le TLF: 1813 taxonomie « théorie des classifications appliquée au règne végétal » (DE CANDOLLE, Théorie Élém. de la bot., p. 19); A. Science des lois et des principes de la classification des organismes vivants; p. ext., science de la classification. Ces classes logiques, dont la constitution est étudiée par la taxinomie (anglais taxonomy), se manifestent bien dans le domaine des classifications hiérarchisées et systématiques des sciences naturelles (nomenclatures), mais aussi dans le domaine des hiérarchies d'objets spontanément observés et dénommés à l'intérieur d'une culture (folk taxonomies : taxinomies populaires) (A. REY, La Terminol., 1979, p. 35).

Le mot taxinomie est donc postérieur à l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est une encyclopédie française, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert. Mais entre "Dictionnaire raisonné" et "Classification hiérarchisée et systématique" on peut postuler une filiation directe.

Recenser. Décrire. Categoriser. Baliser. Arpenter. Classifier. Tout. Les plantes, les animaux, les hommes, les cultures, tout.

Changement de paradigme.

Dans sa théorie de la communication, Flusser dans la Le vivant ne peut plus nous faire re-fléchir - une communication dans laquelle l'intention ne précède pas le dialogue sera desormais impossible avec les plantes, les animaux, et les "étrangers"(ethnographie).
Eros n'est plus une réalité objective.On ne remet pas en question la nature de sa propre identité dans chaque interaction, on teste des hypothèses.L'émotion est écartée au nom de la raison, et l'intelligence se transforme en arme de combat. L'humain perd sa spécificité existencielle et devient objet profane. La science devient le paradigme dominant. (cf Flusser, Théorie de la communication).

[W]e are in the process of designing a pornotopia in which sex, or at least our dreams
of sex, are allowed to permeate areas of life they should never have been permitted to
enter until recently.

Folksonomy.

Accès à de nombreuses sources sur la philosophie de l'histoire au 18e siècle ici.

Vers l'obscurité - Eteindre les Lumières



Ce post ouvre une série de réflexions sur l'héritage des Lumières aujourd'hui.
J'utilise mon blog pour rassembler mes idées, et les ressources on.line sur lesquelles je m'appuie.

En partant de Diderot, est-il possible de mettre en relation les quatre notions suivantes: taxinomie; orientalisme, pornographie, économie du savoir ?

Taxinomie, encyclopédisme, Lumières.

Orientalisme, construction de l'autre, domination culturelle.

Pornographie, femme, consommation.

Economie du savoir, société de l'information, post-capitalisme.